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ODORAMENTO : interview de Chantal Sanier

Dans le cadre du parcours olfactif intégré aux appartements des intendants du Garde-Meuble, l'artiste Chantal Sanier présente la genèse du projet et son processus créatif dans un entretien mené par Teresa Fernandez Garcia, experte scénographe à la direction du développement culturel et des publics du Centre des monuments nationaux.

  • Le nouveau projet que vous avez conçu pour l’Hôtel de la Marine semble être la continuation d’un processus inachevé. Pourriez-vous nous en dire plus sur celui-ci ?

L’expérience olfactive mise en place au sein de l’Hôtel de la Marine dans la chambre de Madame Thierry de Ville d’Avray et le salon de bains de Monsieur a constitué, au moment de l’ouverture du monument, une expérience très novatrice. Il a semblé intéressant d’ouvrir l’expérience dans d’autres endroits des appartements avec un geste créatif plus large, en mettant en œuvre un véritable parcours olfactif original. ODORAMENTO va faire travailler mémoire et imagination avec un système de diffusion expérimental.

Six pièces délivreront des atmosphères différentes pour évoquer le couple Ville d’Avray, les serviteurs, les visiteurs et certaines de leurs habitudes de vie. Des objets de cire froide, véritables sculptures d’odeurs, conçues à partir d’objets du XVIIIe siècle appartenant à la collection du musée Fragonard, restitueront les senteurs imaginées. Les sculptures de cire se feront myrophores. 

La matière blanche, odorante des flacons, fontaines et brûle-parfums, ajoutera une valeur « fantômale » mémorielle et accentuera le retour aux ambiances parfumées du passé. La matière se volatilise. Comme l’oiseau, qui est le fil conducteur présent sur chacun des objets. L’oiseau de cire, d’abord en référence aux oiselets odorants, dira aussi l’allégresse et le désir de naturalité de l’époque, ainsi que son lien poétique avec le parfum et les airs.

  • Vous créez à partir de matières naturelles ?

À la base, depuis plus de vingt ans, je protège 600 hectares de garrigue sauvage à côté de Montpellier, au milieu d’un biotope d’une grande richesse, ce qui facilite mon travail.

Je suis en extase devant les matières naturelles, leur cueillette, leur distillation répètent des gestes très anciens. Quand les parfums des matières végétales arrivent jusqu’à votre nez, ils sont forcément porteurs de toute l’histoire de leur croissance, des cycles de la nature, et je crois qu’on le vit, qu’on le ressent profondément. 

Les parfums délivrent l’odeur de la terre, des cailloux, des racines, du soleil et du vent qui ont permis l’explosion de toute cette vie végétale. Se crée alors une forme de symbiose avec notre système limbique, la partie la plus archaïque de notre cerveau. Pour moi, les matières naturelles nous font adopter la phrase de Montaigne : « Je n’ai fait qu’un bouquet de fleurs et n’ai rien fourni de moi-même que le lien qui les assemble. »

  • Considérez-vous une création olfactive comme une forme de récit ?

Oui, c’est un voyage dans le temps, mais dans un temps qui n’est pas linéaire ou chronologique, un temps qu’on pourrait qualifier de simultané. Un temps de retour, un temps rond, où passé et présent coïncident. Un voyage dans l’éphémère, un va-et-vient suspendu à notre souffle. Ce n’est pas un récit intellectuel ou conceptuel, mais un récit de voyage dans l’émotionnel. Une création olfactive est de la même étoffe que les rêves. Il s’agit d’une forme de récit qui s’enrichit de votre propre culture, de vos propres images, de vos propres émotions, de votre mémoire. 

  • Que cherchez-vous à faire ressentir aux visiteurs à travers vos œuvres olfactives ?

En premier lieu, leur silence et la poésie de leurs souvenirs. Quand on sent, la mémoire convoque les souvenirs, les fait revivre dans une fulgurance étonnante, les imagine, les recrée. C’est ce léger mouvement de l’imagination qui est à l’œuvre.

Quand on sent, on est libre comme l’air, entièrement présent, on ne pense pas, on imagine, on se souvient. Je crois d’ailleurs que le public en sentant crée véritablement les odeurs. Ce partage-là, ce partage créatif m’intéresse au plus au point. Il n’y a pas de frontière entre la personne qui a travaillé le parfum et celle qui le sent.

L’idée du don, de l’offrande est présente aussi. Depuis la nuit des temps, la dimension spirituelle de l’odeur a réuni les hommes et le ciel. Après, il est vrai que j’aime jouer avec la séduction du parfum, j’aime le sourire que déclenche l’odeur. Il est souvent doux et complice. Sur ce registre-là, le parfum est une ruse, il agit tel un artifice, un mouvement de vie en supplément. La séduction est inhérente à cette matière. Ainsi que l’a si justement souligné Jean-Jacques Rousseau : « Le doux parfum d’un cabinet de toilette n’est pas un piège aussi faible qu’on pense. »

  • Ce n’est pas la première fois que vous plongez dans un site chargé d’histoire ?

Effectivement déjà en 2017 je mettais « Mon nez dans l’histoire » avec SUBODORE dans les Jardins du Palais Royal. Je vis avec l’idée, quelquefois encombrante, que les lieux portent des traces des siècles durant… Sous la Galerie d’Orléans, la poésie de l’endroit m’a permis d’essayer de faire revivre, d’imaginer, des moments de notre histoire. Un peu comme si Camille Desmoulins, Anne d’Autriche, Louis XVI, le cardinal de Richelieu, le Régent avaient laissé traîner quelque chose, une odeur toujours présente que l’on pouvait encore ressentir.

Le public plongeait la tête dans une grande sphère et partageait, ou pas, ces souvenirs. De même, dans le Parc de Saint-Cloud, je croyais entendre les rires, les fêtes incroyables qui avaient eu lieu, les grands personnages féminins y avaient laissé leur empreinte. En grimpant dans les arbres on pouvait recueillir l’odeur du passage de Catherine de Médicis, la Princesse Palatine, Marie Antoinette, Joséphine, Eugénie…

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ODORAMENTO : parcours olfactif de Chantal Sanier

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